Après un article sur les Dividends Kings et Aristocrats, on s'intéresse ce mois-ci à un type d'investissement qui revient à la mode : investir dansles actions à dividendes. Présenté comme étant le moyen ultime d'être rentier avec peu de risque, est-ce vraiment un bon plan ? Est-ce surcoté ? On se pose et on rélféchi. Cet article est le prolongement / complément du dernier sur ce thème.
"Achète juste une poignée d'actions à dividendes élevés ou un ETF à dividendes élevés. C'est relativement sûr et tu battras souvent un fonds indiciel large. C'est une stratégie encore meilleure pour la retraite pour avoir des rentes". Vous avez probablement peut-être entendu cela… Et surtout ces derniers temps où j'ai limpression qu'une mode vient faire qu'on en parle plus. Mais malheureusement, ce n'est pas vrai. Petite précision, pour faire le lien avec un ancien article, un ETF Dividends Kings et Aristocrats n'est pas la même chose qu'un ETF à hauts dividendes. Néanmoins, les risques évoqués ici sont théoriquement les mêmes.
Dans les années 1950, 1960 et au début des années 1970, les fonds indiciels n'existaient pas (c'est John Bogle, fondateur de Vanguard, dans les années 70 qui crée les premiers fonds indiciels). Pour investir, on devait alors choisir les actions une par une. On ose s'imaginer que peu de gens allaient fouiller dans les bilans des entreprises, qui étaient par ailleurs beaucoup moins accessible qu'aujourd’hui... La pensée était que si une entreprise pouvait se permettre de verser des dividendes élevés, elle devrait être sur des bases solides.
Les fonds indiciels, cependant, ont changé la donne. En tant que groupe, les actions versant des dividendes élevés ne battent pas les grands indices boursiers et sont moins efficaces sur le plan fiscal.
Prenons un exemple :
Je vaux 100 millions de dollars. Je vous donne alors 10 millions de dollars. Est-ce que je vaux encore 100 millions de dollars ?
Non. Je vaux maintenant 90 millions de dollars. Logique.
La même chose se produit lorsqu'une entreprise verse un dividende. La société réduit sa valeur intrinsèque directement proportionnellement au dividende versé.
Cela ne signifie pas que le cours de son action va baisser. Mais à long terme, l'augmentation du prix d'une action est directement liée à l'augmentation de la valeur intrinsèque de cette entreprise. Plus cette entreprise distribue d'argent en dividendes, moins le cours de son action a de potentiel de croissance.
IBM est un exemple extrême qui aide à nous éclairer sur ce point. IBM verse des dividendes trimestriels sans interruption depuis 1916 et a augmenté son dividende 28 années de suite. Le rendement en dividendes au 17 juin 2023 est de 4,83 %.
Si vous aviez investi 10 000 $ dans des actions IBM en 1986 et réinvesti tous les dividendes, votre capital aurait atteint environ 90 000 $ au 31 mai 2023, soit une performance annualisée de 6.05%/an.
Si, d'un autre côté, vous aviez investi 10 000 $ dans l'indice boursier S&P 500 de Vanguard et réinvesti tous les dividendes, votre capital aurait atteint environ 430 000 $ au 31 mai 2023, soit une performance annualisée de 10.57%/an. Oui, vous ne revez pas ! 4.5 points d'écart environ (10.57 - 6.05) annualisés sur 36.5 ans représentent 340 000 $ dans cette situation.
Les dividendes élevés d'IBM ont donné aux investisseurs un sentiment de sécurité. Mais ces dividendes ont nui aux investisseurs. C'est parce qu'IBM versait chaque année à ses actionnaires beaucoup d'argent qu'elle aurait pu investir efficacement dans ses propres opérations internes.
Par exemple, IBM a versé à ses actionnaires 44 % de chaque dollar gagné par l'entreprise en 2016. C'est beaucoup. En conséquence, IBM n'a pu réinvestir que 56% de ses bénéfices dans ses propres entreprises.
Le "Return on Total Capital" mesure ce qu'une entreprise gagne en interne. En 2016, le retour sur capital total d'IBM était de 23,4 %. La plupart des autres années, comme le montre la source, ce taux est sur ces niveaux avant de se réduire...
Ainsi, alors que les actionnaires se sentaient bien de gagner un dividende élevé, si IBM versait moins, elle aurait pu réinvestir plus d'argent en interne. Cela aurait augmenté la valeur intrinsèque d'IBM. Et au fil du temps, les augmentations de la valeur intrinsèque sont corrélées à la hausse des cours des actions.
Ci-dessous, vous verrez le pourcentage des bénéfices annuels qu'IBM a donné aux actionnaires chaque année entre 2011 et 2022 (retrouvable gratuitement dans la source jusqu'à 2016). Vous verrez aussi le taux de rendement qu'IBM a réalisé sur l'argent qu'il a conservé et réinvesti dans son entreprise (Return on Total Capital). Sur la base des taux de rendement élevés du capital total, verser autant de dividendes aux actionnaires a en fait nui aux investisseurs.
C'est l'une des raisons pour lesquelles un investissement de 10 000 $ dans IBM, dividendes réinvestis, n'a atteint qu'environ 88 000 $ de 1986 à 2023 ; tandis que le même investissement dans le S&P 500 est passé à environ 430 000 $.
Warren Buffett, dans son livre "The Essays of Warren Buffett : Lessons for Corporate America", affirme que les entreprises qui gagnent des taux de rendement élevés sur le capital total ne devraient pas verser de dividendes élevés. Cela gaspille l'argent des actionnaires. C'est pourquoi la société de Buffett, Berkshire Hathaway ne verse pas de dividende. Sa société a obtenu un taux de rendement élevé sur le capital total (un peu comme IBM). Mais au lieu de donner l'argent aux actionnaires, elle a réinvesti cet argent. Cela a augmenté le cours de l'action de Berkshire Hathaway au fil du temps, lui permettant de surperformer toutes les actions à dividendes élevés depuis 1965 (lorsque Warren Buffett a pris le contrôle et le management de la société).
Vous vous demandez peut-être alors pourquoi IBM verse des dividendes élevés.
Lorsque les actionnaires s'habituent à voir les dividendes augmenter, les dirigeants d'entreprise ne veulent pas les décevoir. Cela pourrait temporairement faire chuter le cours de l'action (si les investisseurs vendaient). Cela peut avoir des conséquences dramatiques à court terme sur les options d'achat d'actions des dirigeants ou sur la popularité des dirigeants parmi les membres du conseil d'administration.
IBM, cependant, est un cas extrême. La plupart des actions à dividendes élevés n'ont pas si mal performé. C'est parce que la plupart d'entre eux conservent un pourcentage beaucoup plus élevé de leurs bénéfices par rapport à IBM. Mais cela ne signifie pas qu'ils ont battu les grands indices boursiers.
Fin 2013, Vanguard a créé son fonds Dividend Appreciation Index (VDADX), répondant au désir des investisseurs d'avoir des actions à dividendes élevés. Chacune des sociétés de cet indice a une longue histoire d'augmentation des versements de dividendes. Mais ce fond a sous-performé le S&P 500. On retrouve une performance annualisée de 9.96% versus 11.10% pour le SP500. Pour une exposition 60-40 on retrouve une performance annualisée de 6.66% contre 6.90% pour un portefeuille monde. Si vous ne savez pas ce qu'est une exposition 60-40 on vous invite à lire nos autres articles Bourse ou de visionner le webinaire Bourse.
Ok, ce n'est que 10 ans. Mais les données à plus long terme révèlent à peu près la même chose. En tant que groupe, les actions à dividendes élevés ne battent pas le marché, même lorsque les dividendes sont réinvestis. C'est pourquoi les conseillers de Dimensional Fund, une des plus grosses sociétés de gestion de fonds aux Etats-Unis (614 milliards de dollars sous gestion) conviennent que des dividendes plus élevés ne conduisent pas à de meilleurs rendements.
Benjamin Felix, de PWL Capital (société de gestion de fortune), explique à peu près la même chose dans cette vidéo.
Comme l'explique Warren Buffett, dans le même livre, les investisseurs sont imposés deux fois : une fois au niveau de l'entreprise (affectant la valeur intrinsèque de l'entreprise) et une fois sous la forme d'un impôt sur les dividendes. Plus le dividende est élevé, plus l'impôt absolu prélevé est élevé.
C'est pourquoi, basé sur ces arguments, même pour les retraités, il vaut mieux posséder un portefeuille diversifié de fonds indiciels à l'échelle mondiale… Et ne pas tomber amoureux des actions à dividendes élevés.
Wait a minute ! Tu ne vas pas t'en sortir comme ça ! Cet article ne contredit pas l'article précédent sur les Aristocrats et Kings Dividends ?
Non ! Rappel de la conclusion de l'article précédent : "En conclusion, la stratégie d'investir dans des actions à dividendes est une vraie stratégie à part entière. Elle ne semble pas plus mauvaise ni meilleure qu'un portefeuille monde classique". Sans oublier la pré conclusion juste au dessus "Néanmoins, les données sont limitées dans le temps (2015 ici). En regardant l’historique jusqu'en 2001, on pourrait extrapoler le même résultat depuis 2001. Pour avant, les données manquent mais cette notion n'était pas répandue". Rien de nouveau sous le soleil, vous ne battrez pas le marché et les performances annualisées sont proches des modèles classiques. Mais sur le long terme, en se basant sur l'article de ce mois, vous avez désormais d'autres éléments pour étayer votre réflexion et choix de stratégie.