Je suis tombé ce mois-ci sur une étude absolument fascinante. Celle-ci, avec un modèle expérimental de primates, met en exergue ce que l'argent peut induire en termes de comportements. L'argent peut faire tourner les têtes mais à quel point ? Je trouve ces modèles très intéressants. Sur le plan comportemental, les primates sont les plus proches de l'homme. Par rapport à ces derniers, nous avons plus d'inhibition, vous verrez pourquoi je parle de ceci et vous verrez rapidement l'expression clinique, si j'ose dire, de la différence anatomique au niveau du cortex pré frontal.

Alors maintenant la question : exposé à un système économique, financier et à l'argent, seriez-vous plus malin que nos "cousins" les singes ?

Avant d'aller plus loin, petit reminder sur les autres articles traitant des finances comportementales que vous pourrez retrouver dans la partie Mindset et Bourse. Notamment avec des rats, un vieux sorcier, etc...

Trêve de blabla, on y va !

L'étude en question : The Evolution of Our Preferences: Evidence from Capuchin-Monkey Trading Behavior. Traduction : L'évolution de nos préférences : étude du comportement de troc chez des singes cébinés (ou encore appelés capucins, c'est une sous-famille de primates). Celle-ci nous vient du Pr Chen (oui oui, pas de blague !) de l'université de Yale.

Alors qu'arrive-t-il à nos singes dans cette étude ?

Les chercheurs ont introduit une monnaie fictive sous forme de jetons en aluminium dans une colonie de singes capucins. Chaque singe recevait un budget de 12 jetons, qu'ils pouvaient échanger contre différentes récompenses alimentaires, telles que des pommes, des raisins, ou des Jell-O cubes (dessert américain à base de gélatine aromatisée).

Expériences Principales

Expérience 1 : Dominance stochastique

Dans cette expérience, les capucins pouvaient choisir entre deux expérimentateurs (E) :

  • E1 : Présente un morceau de pomme et donne toujours ce morceau.
  • E2 : Présente deux morceaux de pomme, mais n'en donne qu'un ou deux de manière aléatoire (avec une probabilité de 50%).

Résultats : Les capucins ont préféré l'option où il y avait une chance d'obtenir deux morceaux (E2), montrant une compréhension du concept de dominance stochastique. De quoi ? Explications ! La dominance stochastique est un concept utilisé en sciences sociales et développé principalement à partir de la fin des années 1960. C'est une forme d'ordre stochastique qui permet d'établir un classement de différentes propositions dans un ensemble partiellement ordonné. La dominance stochastique est notamment utilisée en statistiques et dans la théorie des probabilités pour classer les décisions possibles qu’un acteur peut prendre.

La dominance stochastique fournit le cadre permettant d'effectuer des comparaisons statistiques. La compréhension de ce phénomène, montre que les singes ont intégré la notion de statistiques et plus précisément de probabilité ! En gros, les singes sont allés vers "l'espérance de gain" la plus élevée pour eux, en comprenant qu'un des expérimentateurs donnait parfois (1 fois sur 2) une "friandise de plus".

Ok, donc nos singes préfèrent l'expérimentateur qui potentiellement donne le plus de nourriture. Comment peut-on itérer sur ceci ? Et bien c'est l'expérience 2 !

Expérience 2 : Dépendance au cadre de référence

Dans cette expérience, les capucins ont choisi entre deux expérimentateurs (E) offrant des options de pari identiques (des espérances de gain identiques) mais présentées différemment :

  • E1 : Présente un morceau de pomme et, dans 50% des cas, en ajoute un deuxième (gain potentiel).
  • E2 : Présente deux morceaux de pomme et, dans 50% des cas, en retire un (perte potentielle).

Résultats : Les capucins ont préféré échanger leurs jetons avec l'expérimentateur qui présentait la situation comme un gain potentiel (E1) plutôt que comme une perte potentielle (E2). Cette préférence montre que les capucins sont influencés par le cadre de référence dans lequel les options sont présentées, favorisant les "gains" par rapport aux "pertes", même lorsque les résultats finaux, les espérances de gain, sont identiques.

Ceci ne vous rappelle rien ? Il s'agit du biais de... présentation ! : "Bonjour Monsieur, avec mon produit vous avez 90% de chance de gagner" . Vous irez plus naturellement vers ce produit que si on vous dit "Bonjour Monsieur avec mon produit vous avez 10% de chance de perdre". Donc les singes ont été influencés par la présentation, et préférant un gain potentiel qu'une perte potentielle.

Ok donc les singes semblent préférer le gain à la perte. Comment itérer sur ceci ? C'est l'expérience 3 !

Expérience 3 : Aversion à la perte

Dans cette expérience, les capucins choisissaient toujours entre 2 expérimentateurs (E) :

  • E1 : Présente un morceau de pomme et donne toujours ce morceau.
  • E2 : Présente deux morceaux mais en retire toujours un, laissant un morceau.

Résultats : Les capucins préféraient échanger avec E1, qui ne retirait pas de morceau, même si le résultat final était le même (un morceau de pomme). Cela montre une aversion claire à la perte, où la perception de perdre quelque chose influence leur décision, même sans impact réel sur le résultat final. Autrement dit, les singes ressentent plus de douleur à la perte qu'au gain, cela ne vous rapelle rien ? :) C'est cet article !

Dans un premier lieu, nous pouvons voir que les singes développent les mêmes biais cognitifs que nous ! Ou plutôt, ne devrions-nous pas dire l'inverse ? Ne serait-ce pas nous, homo sapiens sapiens, qui nous nous laissions prendre facilement avec des biais provenant de nos "ancêtres", du moins d'un point de vue phylogénétique ? Je pense plûtot que c'est dans ce sens et que c'est codé dans notre patrimoine. Question de survie. Ceci met en exergue l'ancienneté des processus cognitifs et des biais. Ce pourquoi, ceci est difficile à atténuer et presque impossible à éliminer tout seul ! (moment promo pour la psychothérapie).

Mais ce n'est pas tout ! Cette étude va beaucoup plus loin et vous n'êtes pas au bout de vos surprises !

Réaction à l'inflation et à la déflation

Pour comprendre comment les capucins réagissent à l'inflation et à la déflation, les chercheurs ont modifié les prix de manière à ce que les capucins doivent payer plus ou moins pour obtenir la même quantité de nourriture. Ils ont observé comment les capucins ajustaient leurs choix en réponse à ces changements de prix.

Résultats : En cas d'inflation, les capucins ayant moins de jetons ont tendance à se diriger vers les produits moins chers pour maximiser leur budget. De même, en période de déflation, ils ajustaient leur consommation pour tirer parti des prix plus bas, montrant une sensibilité aux variations de prix similaire à celle des consommateurs humains. Juste incoryable !

Comportements complexes :

- Prostitution et système de monnaie (vous avez bien lu !)

Un aspect particulièrement intrigant de l'étude a été l'observation du comportement de "prostitution" parmi les capucins. Lorsque les chercheurs ont introduit la monnaie fictive, certains capucins ont commencé à échanger des jetons pour des faveurs sexuelles, indiquant un comportement complexe d'utilisation de la monnaie au-delà de l'échange simple de nourriture.

Résultats : Ce comportement a montré que les capucins peuvent comprendre et utiliser une forme primitive de monnaie pour obtenir des avantages, illustrant une capacité avancée à manipuler des systèmes économiques à leur avantage.

- Vol d'argent

Un autre comportement observé était le vol de jetons. Les capucins ont parfois volé des jetons d'autres singes pour augmenter leur propre budget de jetons, démontrant une compréhension des avantages financiers et une volonté d'utiliser des moyens non éthiques pour les obtenir.

Lorsqu'on vous dit que l'homme descend du singe... c'est bien plus profond que ce que l'on peut croire !

En conclusion, l'étude révèle que les capucins, tout comme les humains, montrent des biais comportementaux tels que l'aversion à la perte et la dépendance au cadre de référence (biais de présentation). Ces biais semblent être innés plutôt qu'appris, suggérant qu'ils sont profondément enracinés dans notre évolution.

En outre, la réaction des capucins à l'inflation et à la déflation, ainsi que l'émergence de comportements complexes comme la prostitution et le vol dans un système de monnaie fictive, montrent que même des primates peuvent développer des comportements financiers sophistiqués en réponse à des stimuli économiques. Cela souligne l'importance de comprendre nos propres biais et comportements financiers, qui sont peut-être plus primitifs et instinctifs que nous ne le pensons.

Cette étude fascinante nous rappelle que nos décisions financières peuvent être influencées par des biais primitifs et instinctifs. Bien que nous ayons une plus grande capacité d'inhibition grâce à notre cortex préfrontal, ces résultats montrent que nous ne sommes pas si différents de nos cousins primates quand il s'agit de comportements économiques.

Alors, fascinant ? ou... Effrayant ? Ou peut-être même les deux !